A Bordeaux, polemique autour d’une soucoupe volante

A Bordeaux, l’installation d’une sculpture en forme de soucoupe volante, associee à une imagerie complotiste, suscite la polemique.

C’est un etrange vaisseau qui s’est pose mercredi à Bordeaux sur les Bassins à Flot, dans le quartier du Bacalan, objet d’une ambitieux programme d’amenagement urbain depuis plusieurs annees. La soucoupe volante de 15 mètres de diamètre amenee par barge et deposee sur le bassin n°1 près de la base sous-marine est une oeuvre d’art commandee par la Metropole Bordelaise. Elle a ete conçue par Suzanne Treister, une artiste londonienne reputee. La sculpture en acier intègre des materiaux de recuperation d’une epave de la Garonne.

 

Sur sonsite, Suzanne Treister explique sa demarche: «En 2013, j’ai ete frappee par la presence de nombreux navires de la Seconde Guerre mondiale encore immerges dans la Garonne et dont certains affleurent à la surface de l’eau. J’ai ressenti la proximite la seconde guerre mondiale dans la psychologie de la ville, comme si les souvenirs etaient juste sous la surface de l’eau tels ces bateaux de guerre, prêts à emerger. J’ai songe à transformer l’une de ces epaves en quelque chose d’autre, comme dans une operation alchimique, pour incarner le processus physique des changements de la ville. J’ai donc eu l’idee de la transformer en vaisseau spatial.»

Mais il manque quelques elements dans ce descriptif, en particulier la source d’inspiration visuelle de cette soucoupe volante. Or, tous les ufologues l’auront reconnue: il s’agit de la soucoupe decrite et photographiee par le plus celèbre contacte des annees 50, George Adamski. Personnage fantasque, il est devenu une celebrite avec plusieurs livres decrivant ses voyages spatiaux avec des extraterrestres venusiens. C’est dans «Les soucoupes volantes ont atterri» que figure la «preuve» de ces voyages: la toute première photographie d’un vaisseau extraterrestre dont il fournit aussi un plan detaille. En 2012, un sceptique est parvenu à determiner que la soucoupe d’Adamski avait ete realisee avec le couvercle d’une vieille lampe à petrole…

Ce bricolage rudimentaire suspendu à un fil n’en est pas moins devenu une image emblematique de la culture soucoupiste. C’est ainsi que l’ovni d’Adamski est repris à l’identique dans le mythe des ovnis nazis, theorie nee dans les annees 50 à partir des temoignages douteux de pretendus anciens ingenieurs allemands, assurant que des projets de soucoupes volantes avaient ete developpees par les nazis avant d’être recuperes par les Americains. Ce mythe, toujours vivace aujourd’hui, irrigue la culture populaire et a inspire par exemple le film «Iron sky» où des nazis ont trouve refuge sur une base lunaire avec leurs soucoupes volantes.

Problème: toute une frange de nostalgiques du troisième Reich croit dur comme fer à cette theorie ! En reprenant la soucoupe d’Adamski, matrice visuelle d’un mythe aux connotations nazie, et en l’associant explicitement à la memoire de la Seconde guerre mondiale, Suzanne Treister, a suscite la colère de plusieurs riverains de ce projet artistique qui craignent qu’il ne devienne un lieu de pèlerinage pour des illumines aux idees aussi courtes que leurs cheveux.

Plus etonnant encore le nom originel du projet de Suzanne Treister etait «Vril» : «Le nom Vril, que j’ai utilise pour l’une des trois parties de mon projet, vient d’un livre qu’on considère comme le tout premier roman de science-fiction, Vril: the Power of the Coming Race ecrit en 1871 par un anglais, Sir Edward Bulwer-Lytton. (…) Le roman decrit une societe imaginaire rendue possible par la technologie, sous la surface de la terre, dont les habitants possèdent un pouvoir leur permettant de contrôler la matière sous toutes ses formes» explique l’artiste dans une interview à Sud Ouest.  

Avec cette description d’une race superieure, le roman aurait inspire les ideologues nazis et «Le Matin des magiciens», best-seller de Louis Pauwels et Jacques Bergier paru en 1960, a popularise l’idee d’une «societe secrète du Vril» dans le Berlin des annees 30. L’une des soucoupes imaginaires nazie s’appelait d’ailleurs Vril.

Suzanne Treister n’ignore rien de ces antecedents mais elle defend sa demarche artistique: «Il n’y a pas de fondement à la rumeur qui pretend que les nazis auraient utilise le nom Vril pour un suppose programme spatial au cours de la Deuxième Guerre Mondiale. Il faut eviter tout amalgame entre le concept nazi de race dominante et le sous-titre du livre, ‘The Power of the Coming Race’ (traduit en français sous le titre «La race à venir»). On sait aujourd’hui que les nazis ont repris et/ou detourne de nombreuses idees, de nombreuses theories, pour soutenir leur programme de domination mondiale ; ils ont emprunte à la philosophie, à la science, aux technologies, mais aussi à la fiction. Tous ces concepts ne sont pas intrinsèquement nazis.» dit-elle.

Depuis cette interview parue en 2015, le projet a ete debaptise et ne fait plus reference au Vril. Quant à Suzanne Treister, dont les grands-parents maternels ont ete deportes, elle refuse desormais de s’exprimer sur son projet. Mais la polemique autour de sa soucoupe volante n’a pas fini d’atterrir…

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